Au Québec, l’agriculture est encadrée par plusieurs lois et règlements pour assurer le bien-être des êtres animaux. On retrouve notamment le Code civil du Québec,[1] la Loi BÊSA[2], et divers codes de pratiques pour leur soin et leur manipulation [3]. Cependant, dans la réalité, c’est surtout l’industrie qui s’autorégule[4].
Pourquoi la transparence est-elle essentielle ?
Beaucoup de pratiques agricoles se déroulent loin des regards du public. Sans accès à l’information, il est difficile de s’assurer que les êtres animaux sont bien traités et que les normes sont respectées. La transparence permet aussi aux consommateurs de faire des choix éclairés et contribue à une démocratie plus saine. Pourtant, au Québec, il est presque impossible de dénoncer ce qui se passe dans les fermes, les abattoirs ou durant le transport des êtres animaux.
Les lois qui bâillonnent l’information
Dans certaines provinces canadiennes (Alberta, Manitoba, Île-du-Prince-Édouard), des lois dites « bâillon » ou « ag-gag » ont été adoptées pour restreindre la diffusion d’images tournées dans les installations agricoles[5] [6].Ces lois punissent sévèrement les personnes qui entrent dans ces lieux sans autorisation pour documenter des violations[7]. Elles empêchent aussi les employés de signaler des abus. Depuis 2019, le Québec a aussi à quelques reprises manifesté son intérêt d’adopter une loi similaire, et un projet de loi fédéral (C-275) a été à l’étude au Sénat sous prétexte de protéger la biosécurité [8].
Une menace pour la liberté d’expression
Protéger la biosécurité est important, mais ces lois ciblent surtout ceux qui dénoncent les abus, plutôt que les véritables menaces pour la sécurité alimentaire. Les assertions liant les actions de défense des êtres animaux aux risques pour la biosécurité manquent souvent de preuves convaincantes. Elles limitent la liberté d’expression et l’accès à l’information, ce qui est contraire aux droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés [9].
Une décision importante en Ontario
En avril 2024, la Cour supérieure de l’Ontario a invalidé certains articles d’une loi bâillon, jugeant qu’ils étaient inconstitutionnels[10] [11]. Cette loi sanctionnait sévèrement les personnes qui obtenaient un emploi sous des prétextes pour dénoncer des pratiques agricoles problématiques. Cette décision est toutefois en appel.
Pourquoi s’opposer aux lois bâillons ?
Le DAQ estime que toute loi de ce type au Québec pourrait également être contraire à la liberté d’expression et menacerait la transparence du système alimentaire. De plus, ces lois vont à l’encontre du principe de la primauté du droit, qui exige que les lois s’appliquent à tous de manière égale. Elles donnent une impunité à l’industrie agroalimentaire en limitant les moyens de dénoncer des abus [12].
Enfin, rappelons que le Code criminel sanctionne déjà l’entrée par effraction, et que les producteurs agricoles disposent de recours légaux en cas de dommages réels. Les lois bâillons ne servent donc qu’à réduire la transparence et la liberté d’information.
[1] Voir notamment Code Civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 898.1.
[2] Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ c. B-3.1.
[3] Voir par exemple Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage, Code de pratiques pour le soin et la manipulation des bovins de boucherie, Canada, 2013, en ligne: <https://www.nfacc.ca/codes-de-pratiques/bovins-de- boucherie>.
[4] Katie Sykes & Sam Skinner, « Fake Laws: How Ag-Gag Undermines the Rule of Law in Canada » (2022) 28:2 Animal L 229 à 245-46.
[5] Jodi Lazare, « Ag-Gag Laws, Animal Rights Activism, and the Constitution: What is Protected Speech? » (2020) 58:1 Alta L Rev 83 à 87-96.
[6] Animal Justice, « “Ag Gag” Laws », Animal Justice Blog, 2023, online: https://animaljustice.ca/issues/ag-gag-laws.
[7] Voir notamment The Animal Diseases Amendment Act, SM 2021, c 53, s. 4 (Manitoba)
[8] https://animaljustice.ca/wp-content/uploads/2023/08/Animal-Justice-2023-Biosecurity-Report_-Animal-Advocates-or-Poor-Farm-Practices2023.pdf
[9] https://animaljustice.ca/wp-content/uploads/2023/08/Animal-Justice-2023-Biosecurity-Report_-Animal-Advocates-or-Poor-Farm-Practices2023.pdf
[10] Loi de 2020 sur la protection contre l’entrée sans autorisation et sur la protection de la salubrité des aliments, L.O. 2020, c. 9.
[11] Animal Justice et al. v A.G of Ontario, 2024 ONSC 1753.
[12] Katie Sykes & Sam Skinner, « Fake Laws: How Ag-Gag Undermines the Rule of Law in Canada » (2022) 28:2 Animal L 229.