L’adoption d’un être animal de compagnie : un choix écologique ?

L’adoption d’un être animal de compagnie : un choix écologique ?

L’adoption d’un être animal de compagnie : un choix écologique ?
Par Véronique Armstrong, B.A. M. Env. Responsable environnement pour le DAQ

La décision est prise et votre famille aura bientôt le bonheur d’accueillir un être animal de compagnie, un nouveau membre que vous trouverez auprès d’un refuge. Il s’agit là d’une excellente nouvelle, surtout pour l’heureuse ou l’heureux élu.

Et si cette décision avait le pouvoir de faire encore plus d’heureux ? En effet, les effets positifs qui en découlent pourraient très bien aller encore bien plus loin qu’il n’y paraît à première vue.

Plus loin que le bout de son museau

Quand vient le temps de rencontrer leur nouvel ami, de plus en plus de personnes se tournent vers les refuges, préférant cette approche à celles des éleveurs, animaleries et autres sites Internet de provenances aussi diversifiées que nébuleuses. Ces personnes n’accordent souvent que peu d’importance à la pureté de la race de leur futur compagnon, à la couleur de son pelage ou à la forme de la tâche qui borde son œil droit; elles savent pertinemment qu’un cœur à prendre est un cœur à prendre, avec ou sans pedigree.

Ces personnes sont aussi souvent conscientes d’enjeux reliés à la question de l’adoption : surpopulation animale, abandons et refuges qui débordent n’en sont que quelques exemples. Néanmoins, la plupart d’entre elles sont loin de se douter de la portée positive de leur geste.

Et si l’adoption d’un être animal de compagnie n’était rien de moins qu’un choix environnemental d’une grande importance ?

Les êtres animaux dans nos vies

Chiens et chats font bon ménage avec des millions de québécois; ces meilleurs amis de la femme et de l’homme occupent une place privilégiée au sein de nombreux foyers québécois.

Les chiens, pour leur part, tiennent cette place de choix depuis au moins vingt ans. Ainsi, en 1996, 24 % des domiciles québécois comprenait un membre canin, et ce, pour un total d’environ 825 000 chiens. Ce pourcentage était le même en 2016, avec 1,02 millions de chiens répartis dans 836 000 familles (AMVQ, 2016). À l’échelle du pays, 41 % des ménages canadiens ont au moins un chien (ICSA, 2018) et l’on dénombre 8,2 millions de chiens répartis dans les ménages canadiens (ACMV, 2018).

En ce qui concerne les représentants du règne félin, leur présence au sein des familles québécoises n’a cessé de gagner en importance au cours des 20 dernières années. Il y a 20 ans, le quart des ménages québécois comportait un chat; c’est maintenant 33 % de ceux-ci qui en comptent, et ce, pour un total de 2 millions de chats (Radio-Canada, 2017). Au niveau du Canada, 38 % des ménages comportent au moins un chat, avec 8,3 millions de chats faisant partie intégrante de familles canadiennes (ICSA, 2018; ACMV, 2018).

Malheureusement, tous ces compagnons n’auront pas la chance de vieillir auprès d’une famille. Au Québec, environ un demi-million d’êtres animaux sont abandonnés à chaque année, une statistique record à l’échelle de l’Amérique du Nord (Simoneau-Gilbert, 2019). Dans la seule région de Montréal, ces abandons se chiffrent à près de 50 000 (Ibid, 2019). Cette situation a entre autres effets que de nombreux refuges se voient souvent dépassés par les événements, surtout lors de la période des déménagements. Et cette problématique peut rapidement s’aggraver dans le cas des chats, dont le rythme de reproduction est tout simplement phénoménal. Après 7 ans, la descendance théorique d’un couple de chats laissés seuls dans la nature est estimée à plus d’un demi-million (Radio-Canada, 2017).

Avec autant d’êtres sensibles en quête d’une famille aimante, il est bien à-propos de se questionner sur le bien-fondé de l’élevage à des fins mercantiles. Ne serait-il pas plus sensé de d’abord trouver un foyer à ceux qui existent déjà et ne demandent que cela ? Au-delà des conséquences dramatiques sur la vie de centaines de milliers d’individus, autant d’abandons et de ventes d’animaux – au détriment de l’adoption – expliquent en grande partie l’actuelle surpopulation d’êtres animaux à l’intérieur d’une société d’humains dont l’empreinte environnementale est déjà importante.

Or, cette surpopulation d’êtres animaux n’est pas non plus sans conséquences sur le plan environnemental.

L’empreinte de patte environnementale

C’est un fait connu depuis nombre d’années que l’agriculture représente un énorme fardeau environnemental; c’est cependant un fait plus récent que ce volet de l’agriculture a été scruté de plus près, révélant que c’est l’élevage industriel qui se cache derrière la plus grande partie de ses impacts.

L’élevage industriel est la principale cause ou l’une des principales causes des plus grands enjeux environnementaux et sociaux de notre temps : surconsommation et pollution d’eau, dégradation des sols, émissions de gaz à effet de serre, consommation de combustibles fossiles, extinction des espèces, destruction d’habitats et perte de biodiversité, mauvaise répartition des ressources, famine et malnutrition, etc. (Prescott, 2018; Weis, 2013; Zacharias et Stone, 2018). La consommation de produits d’origine animale et de produits laitiers est littéralement en train de détruire la planète.

D’emblée, puisqu’ils consomment des produits d’origine animale et produisent des déchets, les animaux de compagnie ont aussi une empreinte de patte environnementale. Rappelons que l’empreinte environnementale mesure la superficie terrestre bioproductive nécessaire pour produire les biens et services consommés et absorber les déchets produits. Il s’agit d’un outil développé par le Global Footprint Network de façon à mesurer la pression qu’exerce l’humain sur la nature. Or, la pression exercée par les êtres animaux de compagnie est telle que ceux-ci ont droit à leur propre empreinte de patte. Pourtant, ces consommateurs de produits agricoles sont rarement inclus dans les calculs de l’impact environnemental des choix alimentaires.

Dans une récente étude, un professeur de géographie de l’Université de Californie, Gregory Okin, s’est employé à mesurer l’impact environnemental des chiens et des chats domestiques aux États-Unis (Oskin, 2017). Il a notamment découvert que ces derniers représentent, du fait de leur alimentation, 25 à 30% des impacts environnementaux de la production animale en termes d’utilisation de territoire, d’eau, de combustibles fossiles, de phosphate et de biocides (Oskin, 2017). Leur consommation correspond à près de 19 % du nombre de calories annuellement consommées par les Américains. En fait, leur consommation en produits d’origine animale correspond à celle d’un pays à part entière : les chats et les chiens des États-Unis mangent autant de viande que la population de la France en un an. Le phénomène est d’une ampleur telle que si les chats et les chiens américains avaient leur propre pays, leur consommation de calories d’origine animale les placerait au 5ième rang des plus grands consommateurs de viande, derrière le Brésil, la Russie la Chine et les États-Unis (Oskin, 2017).

Il importe de noter que les calculs de l’étude ont porté sur de la nourriture sèche, laquelle domine le marché tant pour les chiens que pour les chats. Ce type de nourriture est à faible teneur en viande, ainsi les calculs effectués n’offrent qu’une estimation prudente de la réalité.

Une empreinte qui s’étend aux océans

Puisque leur nourriture est constituée de vaches, cochons, poules et autres animaux d’élevage, les êtres animaux domestiques ont un indéniable impact sur ces derniers. Loin de s’y arrêter, cet impact va au-delà des terres pour atteindre les mers. Les poissons sauvages ciblés par les activités de (sur) pêche de l’humain sont eux aussi victimes de ce système, tout comme l’est une profusion d’êtres animaux non ciblés et attrapés par accident.

La surpêche industrielle cause d’incommensurables torts aux écosystèmes et aux vivants. Le chalutage de fond, l’une des principales méthodes utilisées, consiste à racler les fonds marins avec d’énormes filets lestés de poids lourds qui ratissent tout sur leur passage. De larges superficies d’habitats marins sont ainsi détruites, parfois de façon permanente, et les cicatrices marines laissées par le chalut peuvent être de plus de 4 km de long (Slow Food, 2012). Ajoutons que les mailles étroites du filet sont impitoyables : la proportion de captures accidentelles donne le vertige. L’exemple des crevettes est éloquent. En moyenne, pour chaque kilogramme de crevettes, ce sont 5 kg d’êtres animaux marins qui sont capturés par accident; cette proportion est souvent de 14 pour 1 (Greenpeace, 2011; One Green Planet, 2017). La vaste majorité de ces espèces non visées ne survivront pas.

Or, 40 % des poissons (sur)pêchés ne sont pas directement mangés par l’humain, ils sont plutôt transformés en nourriture pour les êtres animaux d’élevage (One Green Planet, 2017). Les informations suivantes, qui s’appliquent uniquement à l’Europe, donnent un aperçu de l’ampleur du phénomène (Ibid, 2017) :

• les poules d’élevage mangent plus de poissons que tous les albatros et oiseaux marins du monde;
• les cochons d’élevage mangent plus de poissons que tous les requins des océans;
• les chats domestiques mangent plus de poissons que tous les phoques de l’océan Nord-Atlantique. Fait à noter : les poissons ne sont nullement une nourriture naturelle pour les chats. Contrairement à l’imaginaire collectif, une rencontre – aussi hypothétique qu’improbable – entre un chat et un thon se solderait vraisemblablement… par un thon se régalant du chat.

Réflexion écologique sur ceux qui partagent nos vies

De nombreux foyers canadiens ont ouvert leur porte à un être animal de compagnie. Il en est de même aux États-Unis, avec 60 % des ménages (Oskin, 2017). Cette tendance se révèle également en croissance dans plusieurs pays en émergence, telle que la Chine. Sachant les impacts environnementaux qui se cachent derrière cette tendance, plusieurs constats méritent notre attention.

La principale voie à emprunter se trouve en amont de toutes les suggestions qui la suivent. Elle consiste à ne pas encourager la reproduction d’êtres animaux de compagnie, de d’abord et avant tout prendre soin de ceux qui existent déjà. En effet, des centaines de milliers d’entre eux se retrouvent en refuge ou sont abandonnés dans la nature. L’adoption en refuge libère donc des places pour les sans-abris et permet de retirer tous ces individus du circuit de la surpopulation animale. L’un de ses effets à moyen terme est également de réduire la demande, tant auprès des éleveurs que des usines à chiot. Ultimement, en plus de leur offrir une meilleure vie, l’adoption réduit le nombre total d’êtres animaux de compagnie – et donc leurs impacts sur l’environnement.

En second lieu, la stérilisation est d’une importance sur laquelle on ne saurait trop insister. Il s’agit de la meilleure façon de s’assurer que les êtres animaux de la communauté ne contribuent pas à la surpopulation, c’est pourquoi la plupart des refuges l’exigent. L’exemple le plus probant de sa pertinence est sans doute celui du chat domestique, classé parmi les cent espèces exotiques envahissantes les plus dommageables au maintien de la biodiversité par un groupe d’experts de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Originaire d’Égypte, il ne trouve dans certains milieux que très peu de prédateurs, et ce, pour une abondance de proies potentielles. Ajoutées à son prodigieux rythme de reproduction, ces conditions lui permettent de proliférer. En zone urbaine, les densités dépassent souvent 100 chats/km2, atteignant parfois des densités aussi élevées que 488 chats/km2 (Calhoon et Haspel, 1989 ; Lepczyk et collab., 2003; Baker et collab., 2005; Baker et collab., 2008; van Heezik et collab., 2010 tels que cités dans Massé et al., 2012). De l’Australie à l’Europe et l’Amérique, le chat domestique serait directement impliqué dans la disparition de nombreuses espèces de petits mammifères et d’oiseaux (Massé et al., 2012).

En troisième lieu, derrière cette tendance à faire toujours plus de place aux êtres animaux de compagnie dans nos vies s’en dessine une seconde, toujours plus marquée. Elle consiste à « humaniser » les êtres animaux de compagnie et donc de croire qu’il est approprié de leur offrir de la nourriture à plus grand contenu en viande (Ibid, 2017). Cette « humanisation » des animaux de compagnie tend souvent à s’accompagner d’une augmentation de leur tour de taille, l’obésité étant un problème extrêmement répandu chez les chiens et les chats de compagnie. Conséquemment, leur allouer des portions de nourriture raisonnables serait déjà un bon premier pas, pour leur santé comme pour l’environnement.

Dans le même sens, une alimentation végétalienne réduit de beaucoup l’impact environnemental des choix alimentaires. La science nous démontre qu’il s’agit de l’une des meilleures façons de réduire notre empreinte environnementale. Une autre piste de solution est donc, lorsque possible et avec les conseils d’un vétérinaire, d’ajuster le régime alimentaire des êtres animaux de compagnie afin de les mener vers une alimentation à aussi grande teneur en végétaux que possible.

En cinquième lieu, il convient de se pencher sur la conséquence logique de toute cette nourriture, soit l’énorme quantité d’excréments produits par les chats et les chiens domestiques. Ces derniers sont à l’origine de 5,1 millions de tonnes d’excréments par année (Oskin, 2017). Dans les faits, si l’on disposait de ces excréments comme l’on dispose d’ordures ménagères, ils seraient équivalents aux déchets produits par 6,63 millions d’américains, soit la population de l’état du Massachusetts (Ibid, 2017). Ces chiffres étonnants expliquent en grande partie l’importance d’utiliser des sacs biodégradables ou compostables pour les chiens et une litière écologique pour les chats.

Adopter sauve des vies, beaucoup de vies

Entré en vigueur à Montréal le 1er juillet 2019, le Règlement sur l’encadrement des animaux domestiques oblige les propriétaires d’animalerie à ne vendre que des chiens, des chats et des lapins provenant de refuges ou de cliniques vétérinaires. Si ce règlement vise uniquement le bien-être des êtres animaux de compagnie, ses effets positifs ne se limitent pas à ces derniers. Les êtres animaux d’élevage et les êtres animaux sauvages en bénéficient également puisque ce règlement en réduit indirectement l’exploitation, et ce, en plus de diminuer la charge environnementale que représente cette dynamique d’êtres consommateurs et d’êtres consommés.

Ouvrir sa porte et son cœur à un nouvel ami est un geste d’une grande importance qui peut donner libre cours à des émotions insoupçonnées et accroître notre empathie. Un si beau geste peut parfois mener à d’autres étonnantes découvertes et nous rappeler qu’au-delà de ce cœur à prendre battent des milliers et des milliers d’autres cœurs, tout aussi désireux que l’on se soucie d’eux.

Sources :
ASSOCIATION CANADIENNE DES MÉDECINS VÉTÉRINAIRES (ACMV), 2018. Données démographiques vétérinaires. ⟮Disponible en ligne⟯: https://www.veterinairesaucanada.net/about/statistics  (site consulté le 3 janvier 2019).

ASSOCIATION DES MÉDECINS VÉTÉRINAIRES DU QUÉBEC EN PRATIQUE DES PETITS ANIMAUX (AMVQ), 2016. Il y a désormais 1 million de chiens au Québec. ⟮Disponible en ligne⟯: https://www.amvq.quebec/fr/nouvelles/il-y-a-desormais-1-million-de-chiens-au-quebec (site consulté le 1er janvier 2019).

GREENPEACE, 2011. Bycatch. ⟮Disponible en ligne⟯: http://www.greenpeace.org/international/en/campaigns/oceans/bycatch/ (site consulté le 12 juin 2011).

INSTITUT CANADIEN DE LA SANTÉ ANIMALE (ICSA). 2018. Les vétérinaires jouent un rôle essentiel. ⟮Disponible en ligne⟯: https://www.cahi-icsa.ca/fr/preventative-animal-care (site consulté le 3 janvier 2019).

MASSÉ, A., MAINGUY, J., LEMAY, Y., CARON, A. et ST-LAURENT, M-H. 2012. Le chat domestique en milieu naturel au Québec : une espèce exotique envahissante. Le Naturaliste Canadien 136(1):32-41 · Janvier 2012.

ONE GREEN PLANET. 2017. Can Seafood be Sustainable? Paul Watson of Sea Sheperd on How to save the oceans… and our species. Baladodiffusion no 10, en onde le 2 août 2017. ⟮Disponible en ligne⟯: https://www.onegreenplanet.org/episode-ten-paul-watson/ (site consulté le 8 juillet 2018).

OSKIN, S.G. 2017. Environmental impacts of food consumption by dogs and cats. Department of Geography, University of California Los Angeles, Los Angeles, California, United States of America. ⟮Disponible en ligne⟯: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5540283/pdf/pone.0181301.pdf (site consulté le 3 janvier 2019).

PRESCOTT, M. 2018. Food is the solution : What to Eat to Save the World. Flatiron Books, New Yorks. 272 pages.

RADIO-CANADA, 2017. Les moustachus ont la cote : 2 millions de chats au Québec. ⟮Disponible en ligne⟯: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1019582/deux-millions-chats-quebec-sterilisation-spa (site consulté le 3 janvier 2019).

SIMONEAU-GILBERT, V. 2019. Une façon de diminuer les abandons d’animaux. ⟮Disponible en ligne⟯: https://www.lapresse.ca/debats/opinions/201906/22/01-5231322-une-facon-de-diminuer-les-abandons-danimaux.php (site consulté le 3 janvier 2019).

SLOW FOOD. 2012. L’océan en danger: les techniques de pêche destructives et les rejets. Lighthouse Fondation, Fondation Slow Food pour la biodiversité. ⟮Disponible en ligne⟯: http://slowfood.com/slowfish/pagine/fra/pagina.lasso?-id_pg=43 (site consulté le 3 janvier 2019).

WEIS, T. 2013. The Ecological Hoofprint: the Global Burden of Industrial Livestock. Zed Books. 188 pages.

ZACHARIAS, N., ET STONE, G. 2018. Eat for the Planet: Saving the World One Bite at a Time. Abrams Book, New York. 160 pages.