Le 28 novembre 2022, la Cour supérieure a notamment accueilli la demande de Mme Davilmar quant à l’annulation de l’adoption d’une jument, a octroyé des dommages et intérêts à Mme Davilmar, a rejeté la demande du codemandeur M. Caron ainsi que la demande reconventionnelle de W. Charlot Farms Limited.
Les faits
Catherine Davilmar ainsi que Stéphane Caron, codemandeurs, sont les parents de Ashley, une jeune cavalière à la recherche d’un cheval de compétition. Ils ont décidé d’adopter une jeune jument provenant de l’élevage ontarien W. Charlot Farms Limited, qui est très populaire et reconnu dans le monde équestre. Le contrat d’adoption a été signé en date du 5 octobre 2019 et y indique notamment que Mme Davilmar et Ashley sont les propriétaires et que la jument a été adoptée pour 31 893,75$. Quelques mois après l’adoption, les codemandeurs ont constaté que Vixen faisait des mouvements de tête anormaux. En juin 2020, Dre Bélisle, médecin vétérinaire, a évalué Vixen et elle soupçonnait un diagnostic d’encensement à la tête (head shaking). Les demandeurs ont ainsi informé W. Charlot Farms Limited, qui ne désirait pas négocier ou trouver une solution. D’autres médecins vétérinaires ont été consultés en vue d’obtenir un diagnostic clair, ceux-ci ont constaté que Vixen était victime d’encensement de la tête et qu’une atteinte du nerf trijumeau en serait la cause. Étant donné cette condition, Vixen ne pourra pas être un cheval de compétition comme prévu. Les codemandeurs ont envoyé une mise en demeure le 25 juin 2020 exigeant l’annulation de l’adoption, le remboursement du prix d’adoption ainsi que d’autres dommages, ce à quoi W. Charlot Farms Limited s’oppose.
La décision
Dans ce litige, trois questions sont posées :
1- La partie demanderesse a-t-elle établi l’existence d’un vice caché/maladie non déclarée par la garantie légale de qualité ?
La juge mentionne que le défendeur est « un vendeur professionnel, voire un vendeur professionnel spécialisé », au sens de l’article 1729 du Code civil[1]. Cela dit, cette disposition prévoit une présomption de connaissance de la maladie de la part de l’éleveur ainsi qu’une présomption d’existence de cette maladie. Les demandeurs doivent simplement prouver que la jument ne pourra pas participer aux compétitions d’Ashley, en raison de son état de santé, ce qui constitue un « déficit d’usage ». Le tribunal estime que la preuve à cet effet est satisfaisante. Ainsi, il est possible d’appliquer les présomptions en faveur des codemandeurs, ce que W. Charlot Farms Limited devra repousser afin de se dégager de sa responsabilité. Dans le but de renverser la première présomption, soit celle de la connaissance, le défendeur devra démontrer que la maladie n’est pas un résultat de ses actions et qu’un vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas pu le découvrir non plus. En ce qui concerne la présomption quant à l’existence de la maladie, W. Charlot Farms Limited devra prouver que l’état de santé de Vixen est une conséquence des actes des codemandeurs et que ces actions inadéquates sont la cause probable de la condition de santé problématique de la jument. À la suite de l’analyse des vidéos soumis, des témoignages de médecins vétérinaires ainsi que de l’ensemble de la preuve au dossier, le tribunal estime que le défendeur n’a pas réussi à repousser les présomptions dont les codemandeurs bénéficiaient. Par conséquent, la responsabilité de l’éleveur est engagée.
2- Le cas échéant, la partie demanderesse a-t-elle droit à l’indemnité demandée ?
Le montant réclamé par les codemandeurs s’élève à 89 485,03$ pour le remboursement du prix d’adoption ainsi que d’autres dépenses, et ce, en plus de 10 000$ de dommages moraux et 2 500$ de dommages punitifs. La juge est d’avis que l’annulation du contrat d’adoption doit avoir lieu. Puisqu’un contrat annulé est réputé ne jamais avoir existé, les parties doivent se retrouver dans la même situation que si le contrat n’avait jamais eu lieu initialement. Les frais de maintien et d’entretien de Vixen doivent ainsi être remboursés à Mme Davilmar, totalisant la somme de 29 000,39$, ce qui comprend notamment les frais vétérinaires, la pension et l’équipement. Ce montant est additionné aux frais d’adoption, donc la somme totale de 60 894,14$ doit être remboursée à la demanderesse.
En contrepartie, la jument doit être remise à W. Charlot Farms Limited.
Les autres pertes pécuniaires réclamées ne sont pas octroyées par le tribunal, car elles ne sont pas issues directement de la condition de santé de Vixen. En ce qui concerne les pertes non pécuniaires, la juge s’exprime ainsi :
« [154] Sur la somme de 7 000 $ demandée à titre de dommages moraux, le Tribunal est d’avis qu’un montant de 2 000 $ constitue une indemnisation adéquate pour tenir compte de l’absence de preuve directe quant à la portion attribuable à Ashley, de la contribution des événements extérieurs au litige vécus à la même période par Davilmar, mais également du maintien et de l’entretien que Davilmar a dû assurer auprès de Vixen et des liens affectifs qui se sont, on le comprendra, tissés. »
Aussi, la somme de 2 500$ à titre de dommages punitifs est accordée en vertu de l’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur[2]. Le tribunal reconnait la complexité de l’affaire étant donné que le litige porte sur le contrat concernant une jument et qu’il « ne s’agit pas d’un bien qu’on peut entreposer ou laisser de côté. »
3- La partie défenderesse a-t-elle droit à des dommages et intérêts, dans l’éventualité où il y aurait un abus de procédure ou un manquement important dans le déroulement de l’instance ?
Le tribunal, vu la conclusion de la demande principale, estime qu’il n’y a pas présence d’un abus de procédure de la part des codemandeurs ni d’un manquement important dans le déroulement de l’instance. W. Charlot Farms Limited n’a pas droit à des dommages-intérêts.
D’ailleurs, il importe de mentionner que la demande du codemandeur M. Caron est rejetée, puisque selon le contrat d’adoption, les propriétaires de la jument sont Mme Davilmar ainsi que sa fille. Il n’existe donc aucun fondement contractuel ou extracontractuel lui donnant droit à une indemnisation.
Pour ces motifs, la Cour supérieure a rejeté la demande en ce qui concerne le codemandeur M. Caron et la demande reconventionnelle de W. Charlot Farms Limited. Le tribunal a également annulé le contrat d’adoption de la jument et a condamné le défendeur à payer la somme de 60 894,14$ à titre d’indemnité de restitution, en plus de 2 000$ de dommages-intérêts ainsi que de 2 500$ à titre de dommages punitifs. Le tribunal a également ordonné à la demanderesse de remettre Vixen à l’éleveur lorsqu’elle recevra le paiement de l’indemnité de restitution. Dans l’intervalle, en vue de palier au préjudice futur, le défendeur devra payer 450$ par mois jusqu’au moment où la jument retournera chez W. Charlot Farms Limited, le tout, avec fais de justice.
[1] Article 1729 du Code civil du Québec : « En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur. »
[2] Article 272 L.p.c. : « Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas: a) l’exécution de l’obligation; b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant; c) la réduction de son obligation; d) la résiliation du contrat; e) la résolution du contrat; ou f) la nullité du contrat, sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs. »