Enjeux du cadre juridique des êtres animaux de la faune au Québec - Capsule DAQ N° 93

Enjeux du cadre juridique des êtres animaux de la faune au Québec - Capsule DAQ N° 93

Il est vrai que peu de protections concrètes sont accordées aux êtres animaux de la faune, souvent considérés comme des ressources renouvelables. Bien que le régime juridique spécifique aux êtres animaux de la faune brosse un portrait préoccupant, il faut toujours se référer aux normes générales lorsqu’il est question de bien-être animal. Certaines normes, qui ont force de loi, sont applicables aux êtres animaux de la faune et devront alors être prises en considération sauf exclusion expresse par le législateur.

 

LA PROTECTION ACCORDÉE PAR LE CODE CIVIL DU QUÉBEC

 

L’article 898.1 C.c.Q. : une norme comportementale imposée à tous

 

En décembre 2015, la Loi visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal mène à l’adoption de l’article 898.1 du Code civil du Québec (C.c.Q). Cet article reconnait que les « animaux ne sont pas des biens » mais plutôt des êtres sentients ayant des impératifs biologiques[1]. La Cour d’appel du Québec, se prononçant sur la question, indique que l’article 898.1 édicte une norme comportementale[2]. La Cour explique que « le législateur dicte du même coup la conduite que doivent avoir tous ceux et celles qui interagissent avec de tels êtres »[3].

 

L’encadrement de la mise à mort des êtres animaux de la faune

 

Cette qualification de norme comportementale impose certaines conclusions significatives. D’abord, la Cour d’appel indique qu’il faut appliquer cette norme à la mise à mort des êtres animaux, celle-ci devant être effectuée « d’une façon conforme à l’article 898.1 C.c.Q., c’est-à-dire respectueuse de la sensibilité animale reconnue par le législateur »[4]. Ensuite, la norme constitue un guide pour l’élaboration de règlements, la Cour indiquant qu’on ne pourrait « devant un éventail de possibilités, prescrire l’utilisation du moyen le plus cruel ou le plus douloureux afin de mettre un animal à mort »[5].

 

Les limites de la reconnaissance juridique : l’exemple des cerfs de Virginie

 

Récemment, la Cour supérieure a appliqué cette norme comportementale aux cerfs de Virginie, êtres animaux de la faune en liberté[6]. Elle conclut que cet article ne crée pas d’obligation d’avoir recours à un expert du bien-être animal afin d’établir un plan de gestion des « nuisances animales »[7]. La Cour indique aussi clairement que la norme comportementale n’accorde pas aux êtres animaux un droit à la vie, ni une nécessité de recourir aux méthodes non létales de contrôle[8].

 

Il n’en demeure pas moins que la mise à mort volontaire des êtres animaux de la faune doit être effectuée, dans les mots de la Cour d’appel, d’une manière « respectueuse de la sensibilité animale » et non par le « moyen le plus cruel ou le plus douloureux »[9].

 

La souffrance dans les pièges : un test de la norme comportementale

 

Qu’en est-il des êtres animaux, pourtant reconnus comme étant sentient par loi, qui demeurent piégés dans des collets mortels pour y souffrir pendant des heures, voire des jours? Nous ne mentionnons pas ici, évidemment, l’ensemble des prises accidentelles dans des pièges, ce qui cause une toute une autre gamme de souffrances. Il existera toujours des moyens plus cruels pour mettre à mort un être animal. Il faut donc arriver à tracer une ligne claire qui honore cette « norme comportementale ».

 

LA PROTECTION ACCORDÉE PAR LE CODE CRIMINEL

 

Les dispositions protectrices du Code criminel s’appliquent aux êtres animaux de la faune. Jusqu’à aujourd’hui, certaines questions demeuraient quant à l’applicabilité du Code criminel à ces êtres animaux[10]. Les tribunaux s’étaient d’abord prononcés indirectement sur ce point. En effet, une décision récente de la Cour Fédérale laissait entrevoir la possibilité d’appliquer les dispositions de cruauté animale aux rainettes faux-grillon de l’Ouest se trouvant dans leur milieu naturel[11]. La même Cour citait ce même passage quelques années plus tard, après la modification du statut juridique de l’être animal[12].

 

La Cour provinciale de la Colombie-Britannique avait pour sa part précisée que le Code criminel protège à la fois les êtres animaux domestiques et ceux de faune, bien que, dans les procédures engagées, les accusés n’avaient pas été poursuivis sous le Code criminel[13].

 

L’applicabilité du Code criminel aux êtres animaux de la faune a finalement été confirmée suivant des accusations de cruauté animale portées à l’encontre d’un homme qui avait pourchassé et tué un orignal avec son automobile[14]. En 2025, cet homme a été trouvé coupable, sous l’autorité des tribunaux québécois, de cruauté animale au sens du Code criminel[15].

 

En bref…

 

Les faibles protections accordées aux êtres animaux de la faune en liberté ne doivent pas avoir pour effet d’écarter les implications du statut juridique de l’être animal. Un être animal de la faune est un être animal au sens du Code civil et du Code criminel. Il faut donc interagir avec eux en conséquence. Une protection adéquate des êtres animaux nécessite une bonne compréhension du cadre juridique applicable et des remises en question ponctuelles des lois et règlements. C’est ainsi que nous pourrons assurer une protection plus cohérente et respectueuse envers tous les êtres animaux, qu’ils soient domestiques ou de la faune en liberté.

 

 

[1] « Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables. »

[2] Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187, par. 57 : « Il n’y a en cela rien qui contrevienne à l’article 898.1 C.c.Q. En affirmant que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, ayant des impératifs biologiques, le législateur dicte du même coup la conduite que doivent avoir tous ceux et celles qui interagissent avec de tels êtres. Cette disposition, qui a donc valeur de norme comportementale, s’applique certainement à la manière dont les villes mettent en œuvre les règlements qu’elles adoptent en vertu de la Loi sur les compétences municipales afin de gérer les nuisances animales ou les animaux errants ou dangereux. Ainsi, lorsqu’une disposition réglementaire (comme c’est ici le cas) prévoit l’euthanasie d’un animal, on devra y procéder d’une façon conforme à l’art. 898.1 C.c.Q., c’est-à-dire respectueuse de la sensibilité animale reconnue par le législateur. Il n’est pas impossible non plus que l’art. 898.1 C.c.Q. ait un effet direct sur le contenu même d’un tel règlement, qui ne pourrait pas, devant un éventail de possibilités, prescrire l’utilisation du moyen le plus cruel ou le plus douloureux afin de mettre un animal à mort (en l’espèce, les règlements ne prescrivent rien de tel). »

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Service Sauvetage Animal c. Ville de Longueuil, 2023 QCCS 3354, pars. 59 et 60.

[7] Ibid., par. 60.

[8] Ibid., par. 236 : « Si l’article 898.1 C.c.Q. reconnaît que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, il ne reconnaît pas toutefois leur droit ou leur intérêt à vivre. Il n’impose pas non plus de privilégier des méthodes de contrôle qui assure leur maintien en vie aux méthodes létales. Nous l’avons vu, cette disposition a valeur de norme comportementale qui dicte la conduite de toute personne interagissant avec eux. ».

[9] Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187, par. 57.

[10] Bien que l’article criminalisant la cruauté envers les êtres animaux se trouve dans la section « Actes volontaires et prohibés concernant certains biens », on ne doit pas en comprendre que les êtres animaux non appropriés, soit les êtres animaux de la faune en liberté, doivent être exclus de ces protections. L’argument de l’exclusion est à l’effet qu’un bien doit faire l’objet d’une appropriation. Il est généralement reconnu que les intertitres, ou rubriques, font partie de la loi et qu’ils doivent donc être lus à titre d’indices contextuels (Deslauriers c. Chiropraticiens, 2004 QCTP 57). Il est néanmoins reconnu que leur autorité peut varier (Guimont c. Anglehart, 2004 CanLII 72484 (QC CDBQ), décision non portée en appel). Le terme « biens » n’a donc pas pour effet d’exclure les êtres animaux de la faune.

[11] Centre québécois du droit de l’environnement c. Canada (Environnement), 2015 CF 773, par. 4 : « Bien qu’il ne s’agisse pas d’une affaire de cruauté envers les animaux, il faut comprendre que la protection des espèces en péril procède du même type de considérations d’ordre philosophique et juridique. L’honorable Antonio Lamer alors qu’il était juge de la Cour d’appel du Québec soulignait en 1978 que « [l’] animal occupe au sein de la hiérarchie de notre planète une place qui, si elle ne lui confère pas des droits, du moins nous incite, en tant qu’animaux qui se veulent raisonnables, à nous imposer à nous-mêmes un comportement qui reflètera dans nos rapports avec ceux-ci les vertus que l’on cherche à promouvoir dans nos rapports entre humains […]. Ainsi, les hommes par la règle de l’art. 402(1)a) [du Code Criminel] ne renoncent pas au droit que leur confère leur place de créature suprême de mettre l’animal à leur service pour satisfaire à leurs besoins, mais s’imposent une règle de civilisation par laquelle ils renoncent à, réprouvent et répriment toute infliction de douleurs, souffrances, ou de blessures aux animaux qui, tout en ayant lieu d’abord dans la poursuite d’une fin légitime, ne se justifie pas par le choix des moyens employés. » (R c Ménard, [1978] JQ no 187 (QC CA) aux paras 19 et 21). »

[12] Le Groupe Maison Candiac Inc. c. Canada (Procureur général), 2018 CF 643, par. 117 : « Aussi, je fais mien le rapprochement fait par le juge Martineau, dans la décision Centre québécois du droit de l’environnement, sur le plan des considérations « d’ordre philosophique et juridique », entre ce qui sous-tend la criminalisation de la cruauté envers les animaux et ce qui anime la protection des espèces en péril ».

[13] R. v Keefer, 2017 BCPC 142, par. 10-11.

[14] Renaud Chicoine-McKenzie, « L’homme qui a foncé en camionnette sur un jeune orignal récolte deux chefs d’accusation », Radio Canada, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1978270/video-facebook-orignal-sept-iles-accusation

[15] Raphaëlle Laverdière, « Coupable de cruauté animale pour avoir tué un jeune orignal avec sa camionnette », Radio Canada, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2136286/sept-iles-frappe-orignal-jugement-michael-montigny