POUR LA PREMIÈRE FOIS UN TRIBUNAL REJETTE UNE DEMANDE D’EUTHANASIE D’UN CHIEN DÉCLARÉ « DANGEREUX » - CAPSULE DAQ N° 39

POUR LA PREMIÈRE FOIS UN TRIBUNAL REJETTE UNE DEMANDE D’EUTHANASIE D’UN CHIEN DÉCLARÉ « DANGEREUX » - CAPSULE DAQ N° 39

Le 14 novembre 2017, dans l’affaire Marseguerra c. Ville de Brossard[1], la Cour supérieure du Québec, district de Longueuil, a refusé une demande d’euthanasie faite par la Ville de Longueuil.

Contestation

L’affaire Marseguerra c. Ville de Brossard[2] oppose la tutrice d’un chien de type pitbull, saisi suite à l’émission d’un constat d’infraction pour morsure, à la Ville de Brossard qui invoque son règlement REG-219 permettant la saisie et l’euthanasie des chiens dont le comportement est réputé « dangereux ».

Règlement municipal

Le 13 juillet 2016, entrait en vigueur le règlement municipal REG-219 de la ville de Brossard[3] relatif à des restrictions particulières touchant les chiens de race « pitbull » sur son territoire.

La réglementation prévoit l’évaluation par un vétérinaire de tout chien déclaré dangereux. Le fonctionnaire municipal chargé du dossier doit tenir compte des recommandations du vétérinaire avant d’ordonner l’euthanasie du chien. Il peut donc arriver que l’animal soit épargné tout comme il peut arriver que, pour des motifs jugés raisonnables, il soit « détruit ». C’est ainsi que, sous certaines conditions, un propriétaire peut éviter l’euthanasie de son chien et en reprendre possession.

Les faits

Le 5 octobre 2016, alors que Kyra se trouve sur le terrain de sa propriétaire, elle échappe au contrôle du conjoint de la demanderesse et attaque à mort la chienne de la voisine.

Suite à cet incident, dans le but d’établir si en vertu du règlement municipal Kyra est un « chien dangereux », la Ville demande à une vétérinaire de faire son évaluation comportementale.

Le 4 novembre 2016, la demanderesse reçoit un avis de la Ville l’informant de sa décision de faire euthanasier sa chienne « Kyra ».

L’analyse

Au moyen d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la tutrice du chien conteste la décision de la Ville de Brossard. Le chien est alors saisi et gardé dans un refuge. La demanderesse présente une demande de sursis afin de récupérer son chien en attendant le jugement du tribunal. Comme le rappelle ce dernier dans son analyse, il ne s’agit pas de la part de la demanderesse d’une contestation de la légalité du règlement, mais du caractère « déraisonnable » de la décision de la Ville. Le tribunal conclut au rejet de la demande de sursis aux motifs que les quatre conditions requises pour son octroi n’ont pas été respectées : l’apparence de droit, le préjudice irréparable et dans le cas d’un « droit douteux », la prépondérance des inconvénients.

Par contre, la demande de révision de la décision du fonctionnaire de la Ville de Brossard est accueillie par le tribunal qui conclut au caractère « déraisonnable » de l’ordre de la défenderesse de faire euthanasier le chien :

« […] De l’avis du Tribunal, ce n’est pas seulement le fait que Kyra soit dangereuse qui permet sa destruction. La Ville a décidé d’instaurer un processus d’évaluation par un vétérinaire avant qu’un chien puisse être euthanasié, sauf pour une situation très précise, soit que l’animal présente un danger lors de sa capture. Le propriétaire peut faire faire une contre-expertise. L’autorité compétente doit prendre connaissance des recommandations avant de prononcer sa décision.

Ni la première décision de M. Jean Baptiste, ni la confirmation de celle-ci ne comportent quelque référence aux recommandations.[4] »

En effet, lors de l’application de la norme de décision raisonnable en droit, le juge de la Cour supérieure analyse la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, tout comme la conformité de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, une décision sera déraisonnable si elle conduit à un résultat absurde, clairement contraire à la finalité du texte habilitant et des valeurs fondamentales du régime juridique. Une décision raisonnable fait référence à une décision qui s’inscrit dans l’éventail des décisions possibles, sans toutefois se plier à une obligation de perfection (une décision parfaite). Pour être déraisonnable, elle doit donc sortir des issues qui étaient possibles, soit aux issues acceptables au regard des faits et du droit[5].

Le fonctionnaire ne pouvait pas décider d’ignorer les recommandations des deux vétérinaires (la demanderesse ayant demandé une contre-expertise) ayant examiné la chienne et ordonner son euthanasie. Le tribunal s’exprime en ces termes :

«L’autorité compétente peut-elle décider de ne pas tenir compte des recommandations? Le Tribunal conclut que non, car l’article 2.2 du règlement requiert que la décision de faire euthanasier un chien soit prise pour des motifs raisonnables.

Dans le présent dossier, devant la recommandation de deux vétérinaires voulant qu’avec l’instauration des mesures de sécurité recommandées, un événement comme celui du 5 octobre 2016 ne devrait pas se reproduire, le Tribunal ne peut pas conclure que la décision de faire euthanasier Kyra est raisonnable.[6] »

Le tribunal casse et déclare nulle la décision de la Ville de Brossard. Celle-ci se voit alors dans l’obligation de retourner le chien à sa tutrice, elle-même soumise au respect de certaines conditions.

Cela dit, il s’agit ici du premier cas en jurisprudence québécoise où un juge refuse l’euthanasie d’un chien et souligne « l’attention particulière qu’un tribunal doit apporter aux cas impliquant l’euthanasie d’un animal qui est considéré ‘un être doué de sensibilité’ »[7] en se référant à la Loi BÊSA[8].

[1] Marseguerra c. Ville de Brossard, 2017 QCCS 5652

[2] Marseguerra c. Ville de Brossard, 2017 QCCS 5652

[3] Règlement sur le contrôle des animaux (REG-219-04)

[4] Marseguerra c. Ville de Brossard, 2017 QCCS 5652, par. [31-32]

[5] Joanne CÔTÉ et Mathieu QUENNEVILLE, « La révision judiciaire des décisions et des règlements municipaux », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, vol. 361, Développements récents en droit municipal, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p.167.

[6] Marseguerra c. Ville de Brossard, 2017 QCCS 5652, par. [34-35]

[7] Marseguerra c. Ville de Brossard, 2017 QCCS 5652, par. [20]

[8] Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, L.R.Q., c. B-3.1.

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