Photo : Mme Thérèse Duquette en compagnie de son pitbull de 10 ans, Cassy.
Le 12 mars 2018, dans l’affaire Ville de Longueuil c. Duquette[1], la Cour municipale de Longueuil rejette la Requête pour disposition d’un bien saisi de la Ville demandant d’ordonner l’euthanasie d’un chien.
Règlement municipal
Le 13 juillet 2016, entrait en vigueur le règlement municipal CO-206-934 de la ville de Longueuil[2] relatif au contrôle des êtres animaux. Il s’agit d’un règlement qui impose des restrictions particulières aux chiens de race « pitbull » sur son territoire.
Les faits
Dans l’affaire Ville de Longueuil c. Duquette[3], la propriétaire de trois chiens de type pitbull se fait saisir sa chienne « Cassy » par les autorités en raison du comportement agressif et menaçant que celle-ci a eu lors d’une intervention policière. Selon le règlement municipal, un tel comportement est réputé « dangereux » et entraîne la confiscation et l’euthanasie du chien. Par contre, tout comme c’est le cas avec le règlement municipal de la Ville de Brossard[4] (voir la Capsule N° 39), le règlement de Longueuil prévoit, sous certaines conditions, la possibilité pour un propriétaire de reprendre possession de son être animal et de lui éviter l’euthanasie. Dans le jugement qui nous intéresse, la Ville de Longueuil souhaitait confirmer la confiscation de Cassy et faire euthanasier la chienne, tandis que la tutrice de cette dernière désirait la reprendre. Pour cela, la tutrice a demandé l’émission, à titre provisoire, d’une ordonnance de sauvegarde visant à lever la saisie de sa chienne au motif qu’elle n’est pas dangereuse.
L’analyse
Le Tribunal rejette la demande d’ordonnance de sauvegarde, puisque les quatre conditions requises au stade d’une injonction provisoire, soit l’apparence de droit clair, le préjudice sérieux ou irréparable, la balance des inconvénients et l’urgence, ne sont pas respectées.
Quant au litige principal, le Tribunal rejette la Requête pour disposition d’un bien saisi de la Ville demandant d’ordonner l’euthanasie de Cassy, puisque la Ville n’est pas parvenue à démontrer un niveau de dangerosité bien établi par la preuve.
Le juge précise que:
«[…] il apparait que le pronostic exigé par la Municipalité, tant aux articles 23.1 (6e) [condition d’obtention d’une licence pour pitbull] et 58.5(4°) [exigence pour récupérer un animal saisi], est scientifiquement impossible à établir. Les conditions exigées à cet égard sont donc objectivement inapplicables.
[…]
[214] Cette disposition anéantit à toute fin que de droit tous les buts et objectifs de cet article qui visent à sauver un animal de la mort, dans la mesure où la sécurité des citoyens n’est pas menacée.
[215] Le Tribunal comprend que le conseil de ville a voulu protéger ses citoyens, en faisant l’équilibre entre le risque de se faire attaquer par un pitbull et le droit pour ses citoyens propriétaires de chiens de reprendre possession de leur animal, dans la mesure où celui-ci n’est pas « dangereux ».
[216] Le conseil de ville aurait-il permis cette exception à la saisie et à l’euthanasie s’il avait su que le risque de dangerosité 0 n’existait objectivement pas? Aurait-il biffé de son règlement l’article 58.5, préférant ne prendre aucun risque avec la dangerosité des pitbulls?
[217] Le Tribunal ne peut certes pas y répondre, bien qu’il soit reconnu par la jurisprudence et la doctrine que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes quant à l’interprétation de ses lois[5]. »
De plus, dans ses conclusions, l’experte vétérinaire ne recommandait pas l’euthanasie, tout comme les précédents jurisprudentiels concernant des causes relatives à des chiens ayant commis des actes aux conséquences beaucoup plus graves que celles découlant du comportement de Cassy concluaient à la remise de ces derniers à leurs propriétaires.
D’ailleurs, les conclusions de la récente affaire Marseguerra c. Ville de Brossard, que nous avons présentée dans notre capsule n° 39, ont constitué une partie importante de la réflexion du juge Pierre-Armand Tremblay ayant entendu l’affaire Ville de Longueuil c. Duquette. Les faits entourant les deux causes sont similaires, bien que ceux se rapportant à la présente affaire Duquette sont plus graves et que le risque de danger est manifestement plus élevé que dans l’affaire Marseguerra. La vétérinaire qui a procédé à l’évaluation de la dangerosité du chien concerné dans l’affaire Marseguerra c. Ville de Brossard recommandait elle aussi d’éviter l’euthanasie.
Le juge Tremblay résume ainsi l’analyse du juge Davis ayant présidé à l’audience de la première cause :
«[247] Pour le juge Davis, l’évaluation de la décision de l’inspecteur est soumise à la norme de la décision raisonnable. La Cour doit déférence à l’inspecteur dans son interprétation du règlement municipal pertinent.
[…]
[249] Le juge rappelle également qu’en raison des conséquences irréversibles et fatales de la décision administrative, les Tribunaux doivent apporter une grande attention aux cas d’euthanasie d’un animal.
[250] Le juge Davis déclare que la décision du fonctionnaire d’euthanasier Kyra était déraisonnable, en raison de l’information professionnelle mise à sa disposition pour éclairer sa décision. »
Dans cette affaire, le juge Davis conclut que l’inspecteur municipal n’a pas correctement tenu compte des recommandations des experts.[6] Le Tribunal ordonne donc la mainlevée de la saisie de la chienne Cassy, la remise sans délai de celle-ci à la défenderesse, sous certaines conditions, et le respect des recommandations retranscrites au dispositif du jugement, en plus de toutes les conditions prévues à l’art. 58.5 du Règlement sur le contrôle des animaux[7].
Les dossiers en matière de protection, du bien-être et de la sécurité des êtres animaux prennent progressivement leur place dans les cours de justice. Nos deux capsules n° 39 et n° 40 en sont la preuve.
En refusant les demandes d’euthanasie qui leur ont été soumises par des villes, deux juges ordonnent plutôt la remise à leurs tuteurs des chiens ayant été déclarés « dangereux ». L’interprétation du règlement municipal doit se faire en respect de la Loi BÊSA. Ainsi, le Tribunal rappelle l’importance de lire les règlements avec une attention particulière « afin d’éviter tout abus de la part de l’autorité chargée de son application »[8].
[1] Ville de Longueuil c. Duquette, 2018 QCCM 58
[2] Règlement de contrôle des animaux (CO-2016-934)
[3] Ville de Longueuil c. Duquette, 2018 QCCM 58
[4] Règlement sur le contrôle des animaux (REG-219-04)
[5] Ville de Longueuil c. Duquette, 2018 QCCM 58, par. [211-216]
[6] Ville de Longueuil c. Duquette, 2018 QCCM 58, par. [247 et 249-250]
[7] Règlement de contrôle des animaux (CO-2016-934), art.58.5
[8] Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, L.R.Q., c. B-3.1, art.9