Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187 – Résumé
Le 20 décembre 2019, la Cour d’appel de Montréal a rejeté l’appel des appelantes, Mme Christa Frineau et Road to Home Rescue Support (RHRS), à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure rendu le 26 mars 2019.
Dans cette affaire, un pitbull appartenant à Mme Frineau avait mordu quatre enfants et deux adultes sur le territoire de la ville de Montréal. Suivant ces événements, l’arrondissement avait automatiquement déclaré l’être animal dangereux et avait prononcé à son endroit un ordre d’euthanasie.
Les appelantes demandaient que l’être animal soit confié à RHRS, un refuge américain, plutôt qu’il soit euthanasié. Pour ce faire, les appelantes attaquaient, par voie de pourvoi en contrôle judiciaire, la légalité et la validité de la décision de l’arrondissement et de la réglementation municipale. Leur pourvoi fut toutefois rejeté pour plusieurs motifs.
L’intérêt pour agir
D’abord, l’appelante RHRS, société américaine sans lien de rattachement avec Montréal ou avec le Québec, n’avait ni la qualité requise pour agir en justice ni l’intérêt requis. En effet, l’article 85 du Code de procédure civile (C.p.c.) prévoit qu’un demandeur doit avoir un intérêt suffisant, cet intérêt s’appréciant « en tenant compte de son intérêt véritable, de l’existence d’une question sérieuse qui puisse être valablement résolue par le tribunal et de l’absence d’un autre moyen efficace de saisir celui-ci de la question ».
Or, RHSH n’avait aucun intérêt véritable au litige, n’ayant pas d’intérêt dans le sort qui attend le pitbull ni quant à la validité de la réglementation municipale. Le litige ne soulevait pas non plus de question d’intérêt public qui dépassait les intérêts des parties directement touchées.
De plus, l’article 898.1 du Code civil du Québec (C.c.Q) prévoit que l’être animal est doué de sensibilité, mais qu’il demeure assujetti au régime juridique des biens. Ce régime prévoit que seule une personne qui détient des droits sur un bien peut ester en justice à son égard. En l’espèce, seule l’appelante Frineau, qui se déclarait propriétaire du pitbull, possédait cet intérêt juridique requis. La preuve a toutefois démontré que Frineau avait agi dans un délai déraisonnable eu égard aux règles de procédure civile, lesquelles prévoient un délai d’environ 30 jours pour agir suivant la prise de connaissance d’une décision défavorable.
Enfin, même si la question soulevée était a priori sérieuse, un recours judiciaire introduit par la propriétaire demeurait le moyen efficace de saisir la Cour de la question.
Bien que la Cour d’appel pouvait rejeter l’appel pour les motifs précédemment décrits, elle s’est tout de même attardée aux questions de validité de la réglementation municipale et d’équité procédurale.
Validité de la réglementation municipale
Les appelantes alléguaient que les dispositions de la réglementation municipale qui permettent l’euthanasie d’un chien déclaré dangereux étaient invalides, car incompatibles avec l’art. 898.1 C.c.Q. ainsi qu’avec les dispositions de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (Loi BÊSA). Selon elles, la réglementation municipale ne tiendrait aucunement compte du fait que les êtres animaux sont des êtres doués de sensibilité ayant des impératifs biologiques et qui ne peuvent être traités comme des objets.
La Cour d’appel n’est toutefois pas de cet avis. D’abord, la réglementation municipale a été dûment adoptée par la Ville en vertu de sa loi habilitante. De plus, ce que l’article 898.1 C.c.Q prévoit, c’est une norme comportementale respectueuse de la sensibilité de l’être animal, laquelle doit dicter le comportement de ceux qui interagissent avec des êtres animaux. L’intention du législateur n’est pas d’interdire l’euthanasie ou la mise à mort, mais de s’assurer que cette euthanasie ou mise à mort s’effectue dans des conditions respectant la sensibilité de l’être animal. D’ailleurs, le fait qu’un être animal soit doué de sensibilité n’exclut pas le fait qu’il puisse, dans certaines circonstances, constituer une nuisance ou un danger pour le public au sens de la réglementation municipale. Cette réglementation, tout comme sa loi habilitante, doit toutefois être interprétée d’une manière qui respecte la sensibilité des êtres animaux afin de ne pas leur infliger, même au moment de leur mort, des souffrances ou un traitement cruel.
Ensuite, la réglementation municipale n’est pas non plus inconciliable avec la Loi BÊSA. Cette Loi vise à éviter la maltraitance et le traitement cruel des êtres animaux en prévoyant des règles pour assurer leur protection, leur bien-être et leur sécurité tout au long de leur vie. Or, ces dispositions de la réglementation municipale, même si elles prévoient l’euthanasie dans certaines circonstances, peuvent tout à fait être appliquées et interprétées en conformité avec les principes de la Loi BÊSA.
L’équité procédurale
La Cour s’est finalement questionnée sur le respect par la Ville des règles d’équité procédurale au moment où elle a déclaré le pitbull dangereux et en a ordonné l’euthanasie. En effet, l’équité procédurale est un principe fondamental permettant à un administré dont les droits ou les intérêts seront affectés d’être avisé de la décision qu’on s’apprête à rendre et d’avoir l’occasion de présenter ses observations et arguments. En l’espèce, la Ville aurait dû donner à l’appelante Frineau l’occasion de présenter ses observations avant de déclarer le pitbull dangereux et d’en ordonner l’euthanasie. La Ville n’avait d’ailleurs fait aucune évaluation comportementale de l’animal, en contravention à ses règlements municipaux.
Cependant, vu le comportement de l’appelante Frineau, la Cour a considéré qu’elle avait renoncé à son droit d’être entendue ainsi qu’à son droit de contester la décision de la Ville. La Cour souligne notamment que malgré qu’elle ait été informée de manière non officielle du sort du chien, l’appelante Frineau ne s’est pas manifestée avant plusieurs mois et qu’elle aurait d’ailleurs souhaité se débarrasser du pitbull, levant des doutes sur son intérêt envers ce dernier.