Le 4 octobre 2022, la Cour supérieure a rendu une décision interlocutoire rejetant les demandes de Service Sauvetage Animal et de Florence Meney (ci-après « les demandeurs »), soit la demande en radiation d’allégations et de pièces et la demande d’ordonnance de sauvegarde. De plus, elle a déclaré l’ordonnance interdisant l’abattage des cerfs de Virginie périmée.
Le parc Michel-Chartrand, situé dans la Ville de Longueuil (ci-après « la Ville »), abritait un cheptel de cerfs de Virginie bien au-delà du nombre idéal pour le parc. La surpopulation de cerfs a entrainé des dommages écologiques néfastes ainsi que des inquiétudes concernant la sécurité des automobilistes. En 2021, la Ville a donc organisé une Table de concertation afin de proposer des solutions concernant ce problème de surpopulation. En février 2022, après avoir évalué diverses options, la Ville a conclu qu’une opération de chasse contrôlée serait la solution la plus adéquate pour gérer la surpopulation des cerfs.
Les faits
En mai 2022, les demandeurs ont déposé un pourvoi en contrôle judicaire et une demande d’ordonnance de sauvegarde. Ils ont suggéré à la Ville de capturer et de relocaliser l’excédent du cheptel plutôt que de procéder à une chasse contrôlée. En août 2022, la Ville a obtenu un permis pour la capture d’animaux sauvages à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion de la faune (SEG) afin d’effectuer la chasse contrôlée.
En septembre 2022, les demandeurs ont modifié leur pourvoi en contrôle judiciaire et demande d’ordonnance de sauvegarde pour demander à la Cour de :
Dans le présent jugement, la Cour supérieure se penche sur l’intérêt pour agir des demandeurs et leur demande de sursis.
« Suspendre toute décision de la Ville de Longueuil de procéder à l’abattage de cerfs de Virginie au sein du parc Michel-Chartrand jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue dans la présente instance. »
La décision
Avant d’analyser la demande de sursis, le tribunal a répondu à quelques questions préliminaires, incluant l’intérêt pour agir des demandeurs.
Trois questions préliminaires
Radiation de déclarations
La première question préliminaire avait trait à la demande en radiation de déclaration sous serment de la partie défenderesse, la Ville. Les demandeurs affirmaient que les déclarations sous serment d’une personne à l’emploi de la Ville et d’une biologiste à l’emploi du Ministère des forêts, de la faune et des parcs (MFFP) n’étaient pas pertinentes. Le tribunal a rejeté cet argument et la demande en radiation.
Intérêt pour agir
La deuxième question préliminaire avait trait à l’intérêt pour agir des demandeurs. Afin d’analyser cette question, le tribunal a appliqué les trois critères de l’alinéa 2 de l’article 85 du Code de procédure civile :
1° l’existence d’une question justiciable sérieuse,
2° la partie demanderesse a-t-elle un intérêt véritable ou sérieux dans cette question, et
3° la procédure constitue-t-elle un moyen raisonnable et efficace pour soumettre la question aux tribunaux.
Les demandeurs ont rempli le premier critère : la légalité de la décision concernant la chasse contrôlée (ci-après « la décision de la Ville ») était justiciable et il s’agissait d’une question sérieuse. Les demandeurs ont également rempli le deuxième critère : ils avaient manifestement un intérêt réel dans le sort du cheptel de cerfs du parc Michel-Chartrand et à faire trancher la question de la légalité de la décision de la Ville. Les demandeurs ont finalement rempli le troisième critère : leur pourvoi constituait un moyen raisonnable, efficace et le seul moyen de soumettre aux tribunaux la question de la légalité de la décision de la Ville. Pour toutes ces raisons, le tribunal a reconnu que les demandeurs possédaient la qualité pour agir dans l’intérêt public.
Engagement de la Ville
La troisième question préliminaire avait trait à l’engagement de la Ville de ne pas procéder à une opération de capture et d’euthanasie des cerfs. En effet, la Ville a indiqué aux demandeurs qu’elle :
« […] n’entend pas procéder à quelque opération de capture/euthanasie avant qu’un tribunal n’ait statué sur votre demande, dans la mesure où cette audition procèdera dans un délai acceptable. »
Le tribunal a déterminé qu’il ne s’agissait pas d’un engagement empêchant la Ville d’élaborer un nouveau plan, tel que celui de la chasse contrôlée.
Demande de sursis
Au paragraphe 36 du jugement, le tribunal a déclaré que les demandeurs devaient établir trois critères pour que leur demande de sursis soit jugée valide. Ces trois critères sont les suivants :
1° démontrer une apparence de droit,
2° démontrer l’existence d’un préjudice irréparable en l’absence du sursis sollicité, et
3° démontrer que la balance des inconvénients favorise la suspension de la décision contestée pendant l’instance.
Le premier critère a été rempli par les demandeurs. Afin d’établir l’apparence de droit, il suffit d’établir que la demande soulève une question sérieuse et c’était le cas en l’espèce. Au paragraphe 80, le tribunal a indiqué que :
« Sur cette base, le Tribunal conclut que les Demandeurs satisfont au critère de l’apparence de droit et que les questions de l’existence d’un préjudice irréparable ainsi que de la balance des inconvénients doivent être examinées. »
Le deuxième critère a également été rempli par les demandeurs. Au paragraphe 84, le tribunal a indiqué que :
« Ayant reconnu aux Demandeurs la qualité pour agir dans l’intérêt public, il y a lieu de conclure que le préjudice qu’ils invoquent, soit la mort des cerfs – un état de fait final et irréversible – satisfait au critère du préjudice irréparable. »
Le troisième critère n’a pas été rempli par les demandeurs. Le tribunal a déterminé que le cheptel de cerfs causait de très sérieux inconvénients à la Ville, notamment parce que ceux-ci nuisaient à l’équilibre écologique du parc, augmentaient les risques d’accidents automobiles et pouvaient être porteurs de la maladie de Lyme. Aux paragraphes 97 et 98, le tribunal a conclu que :
« Le sursis recherché par les Demandeurs aurait pour conséquence manifeste d’aggraver le problème de surpopulation des cerfs et les effets préjudiciables qui en découlent. Il rendrait encore plus difficile toute solution à ce problème. Que l’on soit d’accord ou non avec la Décision, la balance des inconvénients penche nettement en faveur de la Ville. Il en est ainsi même si, en l’absence d’un sursis, le recours des Demandeurs devient malheureusement sans objet. »
Conclusion
La Cour supérieure a suspendu son jugement, reconnaissant que la balance des inconvénients favorisait la Ville plutôt que les demandeurs. Toutefois, le tribunal a maintenu le droit d’appel des demandeurs de contester ce présent jugement.